La nuit du faune fait partie de ces romans que j’aurais adoré pouvoir adorer, justement. Mais il m’est obligatoire d’admettre qui m’a laissée sur le bord de la route, malgré ses indéniables qualités. En fait, c’est même une frustration certaine et une ambivalence que je ressens à l’égard de ce texte. Je pense que mon reproche principal vient du fait que j’ai compris l’œuvre après avoir entendu Romain Lucazeau en parler.
D’ailleurs, c’est à l’occasion d’une discussion organisée dans le cadre du Neuchâtel International Fantastic Film Festival (NIFFF) que j’ai réellement décidé de m’adonner à cette lecture. Si l’évènement se concentre essentiellement sur les trois axes que sont le cinéma fantastique, les cinémas d’Asie et les images digitales, il propose également des sortes de bulles étendant l’univers de l’imaginaire. C’est dans le cadre du forum littéraire New Worlds of Fantasy, qui accueille chaque année des acteurs littéraires de l’imaginaire, que Romain Lucazeau a été invité pour évoquer la SF et son lien avec la philosophie. Je vous reparlerai du NIFFF et de mon expérience dans un prochain billet.
Dernier point qui m’a motivée à lire ce livre : c’est le choix des forumeurs Planète SF (qui le place dans la short-list du prix Planète SF 2022). Forcément, j’ai eu envie d’en savoir plus.
Mon introduction est bien trop longue, donc je vous propose d’aborder le cœur du sujet : mon avis sur La nuit du Faune, et pourquoi je suis dans une position délicate pour vous en parler.

La nuit du Faune
Auteur : Romain Lucazeau
Paru aux Éditions Albin Michel Imaginaire en septembre 2021.
Pages : 256
4ème de couverture
Au sommet d’une montagne vit une petite fille nommée Astrée, avec pour seule compagnie de vieilles machines silencieuses. Un après-midi, elle est dérangée par l’apparition inopinée d’un faune en quête de gloire et de savoir. Le faune veut appréhender le destin qui attend sa race primitive. Astrée, pour sa part, est consumée d’un ennui mortel, face à un cosmos que sa science a privé de toute profondeur et de toute poésie. Et sous son apparence d’enfant, se cache une très ancienne créature, dernière représentante d’un peuple disparu, aux pouvoirs considérables. À la nuit tombée, tous deux entreprennent un voyage intersidéral, du Système solaire jusqu’au centre de la Voie lactée, et plus loin encore, à la rencontre de civilisations et de formes de vies inimaginables.
La nuit du Faune se veut être un conte philosophique de Hard-SF space-opératique. Le roman met en scène Astrée, une enfant millénaire, dernière représentante de son espèce, et un Faune, sorte d’animal/être primitif. Astrée va emmener ce dernier vers l’infini et l’au-delà afin de lui faire découvrir les beautés, toutes celles qu’elles peuvent être, même lugubres, qui ont leur place dans le cosmos. Les voilà donc embarqués dans un voyage défiant toutes les lois du voyage dans le temps et dans l’espace, à la rencontre de formes de vies nichées dans les recoins les plus infimes de la galaxie. Si le principe me séduit, c’est là aussi que débute mon désarroi (que j’ai compris, après coup).
Ici, pas de voyage spectaculaire et d’actions à en couper le souffle, plutôt une balade onirique et contemplative. Romain Lucazeau le dit lui-même : « c’est une histoire dans laquelle les personnages ne sont pas importants ». Et c’est ce qui a achevé de me perdre dans les méandres de l’espace. Si je n’ai rien contre les textes un peu oniriques et contemplatifs, il me faut tout de même un centre de gravité auquel je peux me rattacher, et qu’ici, je n’ai pas trouvé. Ajoutez-y un style très riche, dense et poétique ; des phrases très longues, un vocabulaire châtié (j’ai rarement eu autant de plaisir à avoir un dictionnaire intégré à ma liseuse), un tout qui rend l’immersion dans le récit complexe. Cela donc engendré des sessions de lectures très courtes, nourri une frustration, et m’a fait traîner le roman pendant 18 jours (c’est très long pour mon rythme de lecture). L’auteur décrit son titre comme un poème cosmique qui décrit notre monde plutôt qu’un roman, et je pense que c’est le point central de ma déception : ce n’est pas ce à quoi je m’attendais, et à aucun moment je n’ai eu le sentiment que cela était « vendu » ainsi.
Cependant, malgré ma difficulté à appréhender La nuit du Faune (difficulté que j’ai partagée à l’auteur lors de ma rencontre avec ce dernier), le texte garde tout de même des qualités.
Hard SF cosmologique
Le point fort de ce roman, c’est sa rigueur. Même noyée sous les mots, j’ai pu constater l’étendue de la recherche menée par Romain Lucazeau afin de crédibiliser le fil rouge de ce voyage cosmique. Les éléments présentés sont tangibles tout en laissant une part à l’imagination. Il a également l’avantage de nous faire voyager jusqu’à très loin, là où les connaissances scientifiques sont maigres, et il le fait avec classe.
Cultivons notre jardin
Là où la forme et la nature de récit du conte diffèrent de celle introspective du roman, c’est par la présence immuable d’une morale. Le reproche que j’ai, c’est que je ne l’aurais pas comprise ni aperçue si l’auteur ne me l’avait pas livrée lors de la conférence à laquelle j’ai assisté. Et je trouve ça dommageable, car de nombreux lecteurices n’ont pas l’occasion ou l’envie d’assister à des discussions impliquant directement l’auteur. Je sais qu’en tant que lectrice, j’apprécie pouvoir comprendre ma lecture sans devoir faire appel à des sources extérieures.
Revenons donc à la morale de La nuit du Faune. Toujours en reprenant les mots de son auteur, elle est la suivante : il faut être conscient de l’horreur du monde afin d’avoir l’attitude intérieure de bâtir des petits moments de beauté, de vérité, pour faire de l’art, à l’échelle d’une vie. C’est ainsi que l’on pourra se sauver, pas en bâtissant des utopies ou des empires, mais en cultivant son jardin, notre jardin. Cette morale est bien évidemment ancrée dans les croyances de Romain Lucazeau (et encore heureux qu’il évoque quelque chose en quoi il croit).
À la lumière des informations acquises, il est évident que l’auteur réussit son pari et démontre cette morale au gré des rencontres qu’Astrée et le Faune font durant leur périple. Je pense qu’en cela, son texte est réussi et saura parler aux personnes qui ont naturellement perçu cette morale durant leur lecture.
En résumé : La nuit du Faune est un conte philosophique Hard SF qui saura parler à ceux qui réussiront à en percer la morale dans la logorrhée de mots complexes et de phrases longues, qui m’ont malheureusement fait me décrocher et me détacher de ce récit.
Et vous, qu’en avez-vous pensé ? Êtes-vous tenté-e ?
Défi 2022
Cette lecture ne s’inscrit pas dans mon défi 2022, ayant déjà validé toutes les catégories auxquelles elle peut appartenir. Voici la catégorie identifiée.
- Catégorie 06 : Un livre récent (publié en 2021 ou 2022)
- Catégorie 24 : Un livre d’un-e auteurice francophone
- Catégorie 30 : Un livre avec un voyage


Avec cette lecture, je participe aux challenges estivaux du Summer of the Short Stories et Summer Star Wars
Ailleurs sur la blogosphère
- Célinedanaë, Yuyine, Le Maki, Nicolas (Just a Word), Le nocher des livres, Apophis, L’épaule d’Orion, La Geekosophe, Marc, Anne-Laure, FeyGirl, TiggerLilly, vous ? (mentionnez-le en commentaire)
Tu as raison, ce récit est d’un abord assez difficile. J’ai dû m’y reprendre à deux fois pour l’apprécier. Et me trouver dans le bon état d’esprit et une grande disponibilité. Exigeant, donc. Mais après, que du bonheur.
C’est toujours rageant de ne pas réussir à entrer dans un bouquin qu’on pensait apprécier. Donc je comprends ta frustration. Mais d’après ton blog, tu as eu d’autres grands bonheurs de lecture. C’est l’essentiel. Merci pour ce partage et surtout pour avoir expliqué l’origine de tes réticences.
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Merci de ton commentaire ! C’était délicat comme retour à écrire, mais je crois que je m’en suis bien sortie. Et pour moi, c’est important de pouvoir nuancer pourquoi j’ai pu ne pas apprécier ma lecture, sans que cette dernière ne soit mauvaise fondamentalement. Et c’est un exercice délicat.
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Oui, il est souvent plus facile de dire tout le bien qu’on pense d’un livre que d’expliquer avec délicatesse ce qu’on n’a pas aimé et pourquoi. Et, effectivement, tu t’en es bien sortie à mon avis.
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« j’apprécie pouvoir comprendre ma lecture sans devoir faire appel à des sources extérieures » : comment ça tu ne veux pas faire 6 ans d’études de philo pour pouvoir comprendre ce livre ? 👀
Je ne nie pas que ça peut avoir des qualités, mais tu confirmes complètement que ce n’est pas pour moi. 😅
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^^
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Pas de voyage spectaculaire, je ne sais pas ce qu’il te faut tout le roman est un voyage spectaculaire !!!
Pour moi, probablement l’un des meilleurs romans de ces 10 dernières années, un vertige insondable !
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Alors je ne pensais pas à cette spectacularité là en rédigeant mon billet.
Et ravie de lire que le titre t’ait plu ! Il en faut pour tous les goûts 🙂
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J’avoue que ce roman me laisse perplexe. D’un côté, je peste souvent contre le manque de profondeur et la superficialité de pas mal de bouquins. Ce titre devrait donc me ravir. En revanche, je crains pour le coup de rencontrer ici l’excès inverse. Je n’aime pas me sentir complètement débile face à un roman.
Alors peut-être que je sous-estime ma capacité intellectuelle aussi, je ne sais pas. Je tenterai peut-être un jour, mais je retiens qu’il faut lui offrir le temps, la place et le moment adéquats pour le saisir, le comprendre et l’apprécier.
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Oui, je comprends ce que tu dis, et j ‘ai l’impression que l’excès inverse est bien malheureusement présent… Je te souhaite de trouver le bon espace pour le lire et l’apprécier.
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