Dans la toile du temps – Adrian Tchaikovsky [Kube #10]

Des chroniques peu aisées à formuler, j’en ai écrit, mais je crois atteindre le record de complexité avec Dans la toile du temps, tant le roman est riche et m’a séduite. Je vais donc commencer par remercier Camille K. qui a réussi à combler mon envie de « Hard SF avec tout de même une grande part d’humanité », et ce avec brio. Réel coup de cœur pour ce titre qui m’a soufflée, et qui m’accompagnera encore longtemps.

Note : Le tome 2 « Dans les profondeurs du temps » est paru chez Denoël en 2021, version poche non-annoncée pour le moment. La parution en VO du tome 3 « Children of Memory » est prévue le 24 novembre 2022.

Mini disclaimer : Je ne suis affiliée d’aucune façon à Kube. Je paie pour le service et les livres reçus par ce biais pleinement de ma poche.

Dans la toile du temps

Auteur : Adrian Tchaikovsky (Traduction par Henry-Luc Planchat)

Paru aux Éditions Denoël en 2018, présente édition FolioSF 2019. VO parue en 2015.

Pages : 704

4ème de couverture

La Terre est au plus mal… Ses derniers habitants n’ont plus qu’un seul espoir : coloniser le «Monde de Kern», une planète lointaine, spécialement terraformée pour l’espèce humaine. Mais sur ce «monde vert» paradisiaque, tout ne s’est pas déroulé comme les scientifiques s’y attendaient. Une autre espèce que celle qui était prévue, aidée par un nanovirus, s’est parfaitement adaptée à ce nouvel environnement et elle n’a pas du tout l’intention de laisser sa place. Le choc de deux civilisations aussi différentes que possible semble inévitable. Qui seront donc les héritiers de l’ancienne Terre? Qui sortira vainqueur du piège tendu par la toile du temps?


L’histoire débute dans l’Ancien Empire, dans les mains d’une scientifique un peu trop imbue d’elle-même, tant imbue qu’elle va appeler son projet en fonction de son patronyme : « Le Monde de Kern ». Ce projet, la terraformation d’une planète qui sera ensemencée par des singes infectés d’un nanovirus améliorant le développement de leur intelligence dans le but de former une Terre 2.0. Mais tout ne va pas se passer comme prévu. En effet, le plan n’a pas fonctionné, et ce sont des araignées dont on verra l’évolution être tissée tout au long du récit. (Des Portia labiata, elles sont cute en plus).

En parallèle, des millénaires plus tard, nous retrouvons l’équipage du Gilmagesh, derniers représentants d’une espèce humaine en déclin et qui souhaite s’installer sur une planète. Comme c’était le but initial de la scientifique Avrana Kern, à l’origine du projet de terraformation, ils jettent leur dévolu sur la planète habitée par les arachnides. Enfin, encore une fois, tout ne se passe pas comme prévu et ils ne sont pas accueillis en Dieux comme ils l’espéraient.

Dans une narration duale, un chapitre sur la planète terraformée, l’autre dans le Gilmagesh, nous suivons l’évolution de ces sociétés, qui tâtonnent toutes deux face à l’inconnu. Ce mode narratif peut être lourd par moments, mais je l’ai tout de même apprécié. J’ai d’ailleurs eu plus de plaisir à suivre les araignées, car je trouvais leurs cheminements plus intéressants, pertinents et intelligents que celui des humains.

Se fondant sur les études accumulées pendant des années par leur espèce, les savantes conclurent que la géante était une créature simple, probablement conçue pour effectuer certaines tâches particulières en raison de sa taille et de sa force ; son intelligence ne dépassait pas — au mieux — celle d’un carabe Paussidé ou d’une Cracheuse.

(Dé)constructions

L’un des nombreux points forts de ce roman, exacerbé par la narration duale que j’évoquais juste avant, c’est de voir la construction d’une société somme toute très humaine des arachnides. Leur développement politique et religieux est très crédible. C’est fascinant de voir ces thématiques d’humanité intemporelle apprivoisées par des aranéides, mais également traduites dans les constructions sociales de cet ordre du vivant. Par exemple, les mâles y sont inférieurs aux femelles, qui les tuent aisément après l’acte reproductif.

Quand ils ne se livrent pas à une occupation servile, les mâles occupent cette place dans la société de Portia : des ornements, des décorations, simplement là pour agrémenter l’existence des femelles.

Là où la dualité narrative prend tout son sens, c’est à abord du Gilmagesh, où à l’inverse, la société se déchire plutôt de que collaborer pour une évolution et un développement. Mutineries et ambitions mettent à mal l’équilibre instable du vaisseau abritant les derniers survivants de la race humaine. C’est d’autant plus intéressant que ces personnages, subsistant à travers les millénaires grâce au sommeil cryogénique, ne font que répéter les erreurs qui ont mené les Terriens à leur perte. L’humain n’apprendrait donc t-il jamais ?

Confrontées à l’arrivées des humains, des créateurs, des géants de la légende, les araignées n’ont pas songé « Comment pouvons-nous les détruire ? » mais « Comment pouvons-nous les prendre au piège ? Comment pouvons-nous les utiliser ? »

Messages

Dans la toile du temps véhicule deux messages principaux à mon sens : une critique face à l’invariabilité du genre humain et un message d’unité.

Le premier est donc une évidente critique de la nature humaine telle qu’elle est de nos jours. L’Humain impatient, borné et prétentieux. La prétention d’une quelconque supériorité est la source de nombreux conflits passés, présents, à venir. Et malgré une situation critique, impossible pour des humains d’évoluer sur ces aspects qui les mèneront encore une fois à leur perte.

Semblablement, et dans l’esprit initial de la terraformation de cette planète par Kern qui souhaitait y construire un monde meilleur (enfin, j’espère), les araignées réussissent là où les humains échouent. Ils sont en mesure de construire une société relativement égalitaire, ordonnée et surtout unie dans l’accomplissement d’un futur meilleur pour l’ensemble de leur société, et non pas quelques individus.

Ode à la connaissance

Finalement, je souhaite aborder quelques points qui font que cette œuvre m’a tout particulièrement plu. Ceux-ci ne sont pas des aspects de l’intrigue, mais des éléments pouvant rejoindre les messages précédemment évoqués.

À mon sens, Dans la toile du temps est une véritable ode à la connaissance et aux sciences. Du point de vue d’abord de la rigueur scientifique dont Adrian Tchaikovsky fait preuve. Ce dernier est instruit dans les sciences de la zoologie et de la psychologie, et cela se ressent au travers de l’entièreté de son roman. Ce n’est pas nouveau, j’ai une passion pour la Hard SF et la rigueur scientifique dans les ouvrages du genre que je lis, et l’auteur y excelle. J’ai éprouvé beaucoup de plaisir à découvrir une partie de la science zoologique que je ne connais que très peu. C’était un pari ambitieux (mais réussi) de mettre en œuvre des esprits humains dans le corps et la nature des araignées.

Mais tu l’ignores. C’est bien le problème, avec l’ignorance. Tu ne peux jamais être vraiment certaine de l’importance de ce que tu ne connais pas. Je ne te donnerai pas ce Savoir.

Cette ode au Savoir, à la curiosité se retrouve donc tant dans les mots qui animent ce récit que dans la rigueur de Adrian Tchaikovsky. Plusieurs fois durant ma lecture je me suis retrouvée à aller googler certaines choses pour élargir mes connaissances et ma compréhension de l’œuvre. Et ça, c’est une preuve que j’ai été transportée par ce roman, par ses moments.

C’est sur ces quelques mots positifs, voire de louanges, que je termine cette chronique. Je vous encourage très fortement à lire ce titre. C’est une pépite qui vous fera voyager, et qui peut-être vous redonnera fois sur l’humanité, qu’importe la forme qu’elle arbore.


Et vous, qu’en avez-vous pensé ? Êtes-vous tenté ?

Défi 2022

Cette lecture s’inscrit dans mon défi 2022 pour la catégorie 1 : Un livre où un animal joue un rôle important. Il peut également être attribué aux catégories suivantes :

  • Catégorie 16 : Avec une héroïne
  • Catégorie 28 : Un livre primé (Arthur C. Clarke Award 2016)
  • Catégorie 31 : Le premier tome d’une série
  • Catégorie 35 : Un livre avec une créature artificielle
  • Catégorie 38 : Une couverture avec un objet ou une créature capable de voler
Avec cette lecture, je participe au Summer Star Wars

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