Cœurs vides – Juli Zeh

En voilà une chronique qui va être bancale et casse-gueule. Dans Cœurs vides, le propos, le récit même est résolument politique. Et même si en tant que citoyenne, c’est une thématique importante, ce n’est pas de celles dont j’ai l’habitude de parler en « public », et puis, mes connaissances sont celles des discussions autour de sujets d’actualité le plus souvent, pas des systèmes et hiérarchies pures. Allez, je m’aventure sur ce fil.

Je remercie les éditions Actes Sud, et tout particulièrement Mathilde Bert, pour l’envoi de ce service presse et leur confiance.

Cœurs vides

Autrice : Juli Zeh (Traduction par Rose Labourie)

Parution aux éditions Actes Sud, collection Exofictions le 16 mars 2022. VO parue en novembre 2017.

Pages : 285

De quoi ça parle ? (Repris du communiqué de presse de l’éditeur)

Allemagne, 2025. Un mouvement ultra populiste gouverne le pays et le monde est devenu un endroit encore plus incertain qu’il ne l’est aujourd’hui. Britta et Babak ont créé Le Pont, une entreprise lucrative : grâce à des algorithmes, ils détectent sur le net des personnes ayant des envies de suicide et leur proposent une thérapie en douze étapes. Ceux qui sont guéris font un don de leur choix à leur cabinet de coaching psychologique. Quant à ceux qui s’avèrent incurables, ils sont vendus à des organisations de tout bord pour servir de kamikazes. Le Pont a réussi à accaparer ce marché florissant, et le terrorisme ne peut se passer des services de Britta, jusqu’au jour où la nouvelle d’un attentat-suicide déjoué à Leipzig fait l’effet d’une bombe.


La satire sociale est un exercice que j’aime beaucoup, car elle fait écho à ma vision parfois cynique du monde, donc j’ai toujours du plaisir à me plonger dans ce type d’ouvrage, surtout quand cela porte le label « Science-Fiction ». A l’inverse de Quality Land, lu récemment et publié chez le même éditeur, Cœurs Vides propose une toile située dans un futur bien plus proche, et plus sombre : 2025.

En 2025, Angela Merkel a été démise du pouvoir par l’opinion publique, renversée par le Comité des Citoyens Concernés (CCC), un groupe politique extrémiste, autoritaire, et abolissant petit à petit les libertés du peuple allemand.

La politique de l’autruche

C’est le désintérêt du peuple, et probablement sa lassitude qui a pu mener à une telle situation politique. Car il est plus simple de ne pas chercher à comprendre, dans un monde où l’information est tellement dense. Car il est plus simple de voter pour le candidat qui nous apparaît le plus sympathique. Car il est plus simple de ne pas voter, simplement. En effet, une majorité du peuple allemand préférerait être démis de son droit de vote que de son lave-linge.

L’Allemagne n’est pas seule non plus. Après le Brexit, la France (avec le Frexit) a suivi le même chemin, et nombreuses sont les nations qui sont en passe de suivre cette voie. La désunion est maîtresse dans le contexte géopolitique actuel.

Ces constatations font froid dans le dos. 2025, c’est demain, et Cœurs vides s’annonce presque comme une mauvaise prophétie. Ce n’est pas un secret, la polarisation des extrêmes politiques grandit de jour en jour, et le taux d’abstention lors d’élections ou votations atteint des records.

Il y a quelques années, on a lancé un sondage, dit Britta. On a demandé aux gens ce qu’ils feraient s’ils devaient choisir entre leur droit de vote et leur lave-linge. – Et qu’est-ce que ça a donnée ? – Soixante-sept pour cent ont choisi le lave-linge. Quinze pour cent n’ont pas tranché.

For the greater good, questionnements éthiques

A l’instar des questionnements politiques, ceux relatifs à l’éthique font également preuve d’une importance majeure dans ce récit. On les retrouve dans le propos général de l’autrice, mais également incarnés par son personnage principal Britta, qui a son tour les soumet à sa meilleure amie (Janina) en quête de validation.

Britta sait, au plus profond d’elle, que son activité est fondamentalement douteuse, et que le secret qu’elle entretient auprès de ses proches la ronge. En effet, le Pont est une entreprise de psychothérapie. En deçà de ce pignon sur rue, le Pont est un intermédiaire entre des hommes suicidaires, éprouvés par le Pont, et des organismes terroristes (et qu’importe la cause) qui les emploieront comme kamikazes.

Finalement, ne serait-ce pas offrir une mort digne à des hommes persuadés de cette décision, en leur offrant d’aboutir à leur désir par le service d’une cause ? Ne serait-ce pas leur offrir une plus belle dernière action que celle qu’ils auraient eu sans rencontrer le Pont ? D’avoir l’opportunité d’avoir une dernière fois des paillettes dans les yeux avec une mort infaillible ? Mais ne serait-ce pas non plus cautionner le terrorisme, qui, d’un point de vue objectif, est intrinsèquement mauvaise ?

Aujourd’hui, quand on a besoin d’un terroriste, on n’est plus obligé de faire appel à des djihadistes aveuglés souffrant de trouves narcissiques, à des gamins fétichistes des armes ni à des psychopathes qui détestent les étranger et les femmes. A la place, on a un martyr formé par des professionnels et soumis à une batterie de tests, décidé à mourir pour une cause supérieure.

Nihilisme

Le roman revêt aussi une dimension presque philosophique, avec de nombreuses références au nihilisme que l’on peut retrouver dans les descriptions de Nietzsche, Cioran ou encore les sceptiques du XIX. Le courant proclame, notamment, l’amoralisme, le scepticisme moral, l’effondrement des croyances, un rejet de l’idéalisme. Ce nihilisme est démontré tant dans les découvertes propres au déroulement du récit, que dans le déclin psychologique de Britta.

Autres menus détails

Dans l’ensemble, le récit est plutôt lent, dans une sorte de contemplation presque morbide. Le récit et l’intrigue sont là pour servir le propos que défend l’autrice. Ce n’est pas un livre vraiment plot-based, peut-être un peu plus character-based, bien qu’ils soient froids – à l’image du roman. J’admets que celui que j’ai préféré, c’est Babak, que j’ai trouvé attachant.

De plus, à quel point ce livre fait-il vraiment partie du genre de la science-fiction ? Les éléments présentés sont tellement crédibles que le titre paraît presque être plus une prémonition, une anticipation qu’une dystopie.

Finalement, j’ai envie de conclure en disant que même si le roman est sombre et déprimant, il se conclut sur une sorte de résolution teintée d’une lueur d’espoir, ténue.

En résumé : Cœurs vides est un bon roman d’anticipation dystopique, mais surtout de critique sociale, politique, crédibles. Le rythme est plutôt lent, et je pense que ce titre n’est donc pas fait pour tous. Beaucoup risquent de ne pas y trouver du plaisir et de la compréhension, mais ça n’a pas été mon cas !


Et vous, qu’en avez-vous pensé ? Êtes-vous tenté ?

Défi 2022

Cette lecture ne s’inscrit pas dans mon défi 2022, ayant déjà validé toutes les catégories auxquelles elle peut appartenir. Voici la catégorie identifiée.

  • Catégorie 04 : Un livre dont le ou les héros sont des méchants/exercent une activité malhonnête

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